Dîner pascal par temps de crise Homélie Jeudi saint (9.04.2020)
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Jeudi Saint 9.04.2020 Lavement des mains et de la Cène Colombes sans assemblée
Dîner pascal par temps de crise
Chaque album d’Astérix se termine par un grand festin des habitants du village gaulois heureux de se retrouver après une aventure difficile souvent où ils ont passé une épreuve qui les a fait grandir. C’est ce dont nous rêvons tous lorsque la pandémie sera terminée et que la fin du confinement sera annoncée. En attendant ce jour, nous sommes comme les juifs déportés en exil à Babylone, loin de la terre que le Seigneur avait donnée à leurs pères. Nous sommes privés de communion eucharistique, de ce sacrement qui nous est si cher. Même avec la communion de désir et la prière de communion spirituelle, ce n’est pas pareil. Nous sommes empêchés de nous rassembler pour une bonne raison, pour prier physiquement dans le même lieu. Notre foi est éprouvée. Nous sommes dispersés, éloignés les uns des autres. Nous mesurons alors mieux combien il est important et vital de faire partie d’une communauté chrétienne, de frères et de sœurs, rassemblés par ce Dieu Père avec son Fils dans l’Esprit St. Cette communauté nous permet de nous soutenir, pour prier ensemble, pour partager les bonnes comme les mauvaises nouvelles.
Pourtant, si nous repensons aux contextes respectifs de la Pâque juive et de la Pâques chrétienne, ne l’oublions pas, c’est à chaque fois un repas pris dans un contexte de crise.
Pour les hébreux en Egypte, le repas pascal pris en toute hâte, la ceinture aux reins, et le bâton à la main, chaque famille dans sa maison, vient après les dix plaies d’Egypte : l’eau du Nil changé en sang, les grenouilles, les moustiques, la vermine, la peste du bétail, les furoncles, la grêle, les sauterelles, les ténèbres et la mort des nouveaux-nés d’Egypte (Ex 7-11).
Pour Jésus, les apôtres et les disciples présents, ce soir-là, au Cénacle, l’arrestation est proche, la trahison de l’un des Douze va arriver malgré la mise en garde, la dispersion des apôtres et le reniement de Simon-Pierre, sa condamnation à mort du Maître et du Seigneur, sa crucifixion et sa mort comme un criminel, c’est une crise importante.
Le sang coule : celui de l’agneau ou du chevreau, pour le mettre sur les deux linteaux des maisons en Egypte pour que les nouveaux-nés juifs soient reconnus et épargnés. Le sang de Jésus coule aussi : lors de la flagellation, lorsque les épines de la couronne l’ont fait saigner à la tête, avant que ce ne soient les clous de la croix et enfin le coup de lance dans le côté, d’où sont sortis de l’eau et du sang (cf Jn 19). Le sang versé du Christ, que Jésus annonce lors de son dernier repas, dans ce récit le plus ancien dans la 1° lettre de St Paul aux Corinthiens car ils n’avaient pas tiré toutes les conséquences pour eux-mêmes et leur communauté. Jésus leur dit que cette coupe de vin ce n’est plus du vin, mais son sang versé pour tous, pour le salut de tous. Et dans la Bible, le sang, c’est la vie. Et la vie est un cadeau de Dieu. Jésus a donné sa Vie pour que nous vivions en Dieu, pour que nous vivions de Dieu, pour que nous ayons la Vie éternelle, la vie divine.
Pourtant, le Seigneur n’abandonne pas son peuple dans la tempête : Il a entendu les cris du peuple esclave qui ployait sous les coups de fouet de Pharaon. Jésus a calmé la mer et le vent et rendu la paix aux apôtres dont la barque menaçait de couler. Le jour de la résurrection, alors que Thomas est absent, le Ressuscité rejoint les Onze dans la tourmente de l’après mort (cf Jn 20), dans la crise, dans l’enfermement ne croyant pas encore ce que les femmes leur avaient annoncé.
L’Agneau est un animal qui traverse la Bible : c’est l’agneau qu’Isaac cherchait pour le sacrifice lorsque son père Abraham est parti sur la montagne avec lui (cf Gn 22). Et c’est finalement un bouc qui se prend dans un buisson qui sera offert en sacrifice par Abraham à la place du fils unique
Jean-Baptiste a présenté Jésus à ses disciples comme l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde (Jn ). Et c’est à l’heure du sacrifice de l’agneau pascal au Temple de Jérusalem que Jésus meurt sur la croix, au Golgotha. L’auteur de la Lettre aux hébreux en fait toute une relecture et une mise en perspective très profonde dans les chapitres 9 et 10 : son sacrifice unique met fin à tous les sacrifices de la Première Alliance depuis Abraham et Moïse. Avec Le Christ, l’offrande parfaite, tous le système sacrificiel de la Première Alliance perd sa fonction.
La Pâque juive, Pessah, n’est pas tant le passage de la Mer Rouge à pied sec selon le récit que nous entendons au cours de la Veillée pascale (Ex 13-14), que le passage du Seigneur, sauveur et libérateur, au milieu de son peuple : je traverserai le pays d’Egypte. Je passerai.
La Pâques chrétienne, est le passage de Jésus de la vie terrestre, humaine, à la mort et la mise au tombeau, sans tricher, sans faux-semblant, à la vie du Ressuscité par la force de l’Amour du Père et la dynamique vivifiante du St Esprit.
On se rappelle comment après sa résurrection, les apôtres n’ont pas compris l’envoi que Jésus leur a fait. Cette mission : « Je vous envoie jusqu’aux extrémités du monde. Faites des disciples, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du St Esprit. » (Mt 28,20) Il faudra attendre le cinquantième jour pour que les apôtres sortent proclamer la Bonne Nouvelle, en ayant reçu le feu de l’Esprit : « Si vous devenez ce que vous devez être vous mettrez les feu au monde. » C’est ce feu-là qui doit brûler dans nos coeurs, comme au buisson ardent (Ex 3) où Moïse avait entendu le Nom de Dieu, ce feu de l’Amour de Dieu pour chacun et chacune d’entre nous qui doit bruler en nous pour que nous puissions être renouvelés, que nos vies soient transformées et que nous permettions à d’autres de faire cette expérience pour que ce ne soient plus seulement nos mots, nos gestes, notre regard, notre écoute, mais que ce soient à travers les sentiments du Christ (cf Ph 2,5) que nous puissions agir, parler et aimer comme Lui.